Le Ruisseau de La Maria
Le bruit que fait le ruisseau est immuable. On peut, fronçant les sourcils qu’on a un peu blanchis, refusant son attention et ses soins au reste de la nature – il s’agit d’une fraîcheur bienvenue par temps de canicule, du vent dans les saules, du veau ayant égaré sa vieille et vaillante maman, des taons et des mouches qui pourtant insistent, et tout, et tout – on peut, en se concentrant bien sur ce bruit, y distinguer de nombreux bruits simultanés, des clapotis. Mais c’est un peu présomptueux. Il faut reconnaître qu’il y a un peu d’invention dans cette manière de voir, et on n’est pas sûr d’entendre vraiment selon ce schéma, de vraiment pouvoir isoler, par la force de notre concentration cérébrale, plusieurs clapotis, ensuite de les rassembler et former le bruit unique et immuable du torrent qu’on entend. Qui le forme, hein ? Parce que, finalement, c’est sensé être une perception.
En tout cas jamais ne cesse et jamais ne change ce joli clapotis sans emphase, le ruisseau dont je parle, celui dit de La Maria, selon son nom, étant petit, passant dans un vallon perdu d’une contrée oubliée et n’ayant jamais vraiment passionné les gens. Ça n’est pas la Rivière de Cassis, ni la Meuse, et ni l’Hudson, j’en passe. On pourrait presque croire que c’est un ruisseau comme un autre – mais là non, il ne faut pas généraliser tout le temps, soi disant qu’on est en train de s’exprimer, ou de lire, qu’on se croit au pays des mots, qu’on est français, moderne, intelligent, qu’on a compris les enjeux, qu’on est au parfum culturel ou autre.
Ce serait trop facile. Fâchons nous un peu, envoyons promener les trop sûrs d’avoir aisément bon. Prenons un instant la pose… J’ai filmé l’eau dans le ruisseau, avec le son, en m’appuyant surle tronc moussu du saule dont j'ai parlé. Le voici.
C’est cadré et je n’ai pas baladé mon appareil pour que l’on puisse se concentrer, si bien qu’il manque beaucoup de choses, comme les vaches pas bien loin,
et les veaux et à un moment un pivert et bien sûr surtout Caro, les bottes baignant dans l’eau, sentant peu à peu la fraîcheur gagner ses jambes et restant coite pour favoriser l’enregistrement des clapotis (elle a un visage touchant et beau.)
Comme on peut voir, l’appareil a beaucoup hésité pour sa mise au point. On sent bien qu’il s’est demandé sans arrêt si le ruisseau bougeait son eau ou si cette eau était immobile, ne sachant où situer l’immobilité des choses à ce moment-là.
Le savant qui supervisait la santé de la personne du roi Louis quatorze pensait que, depuis le fiat originel, la lumière était immobile. Il ne lui semblait pas qu’elle se déplaçait d’une source vers des choses, (pour aller où ?) Et de même, si l’on battait le briquet, la lumière était immédiatement partout, comme une qualité de l’espace.
Cet appareil photo en général ne se soucie que de s’ouvrir et de se refermer aussitôt, d’un même élan, pour pouvoir piquer du monde un genre de portrait sur le vif, faux peut-être, mais crédible.

Ainsi Boris saisi ému par la cascade...
On a beau voir soi disant l’eau du ruisseau de La Maria couler dans ce petit clip, et voir le ruisseau de La Maria et l’entendre et voir comme son eau est limpide – visible seulement par les reflets méconnaissable des berges dispachées dans ses formes – mouvante, une des choses les plus belles qu’on puisse voir, - donc oui on a beau la voir, on ne peut fixer les galets pour profiter de leur beauté.
Au-delà serait bavarder, nous y reviendrons à une autre occasion.